critics / critiques
Maxence Alcalde,
Barthélémy Toguo
in Parisart.com, 2005.
Barthélémy Toguo n’aime pas les injustices (comme tout le monde !), ni la guerre (comme tout le monde !), ni les croisades bushistes (comme tout le monde !). Barthélémy Toguo est un artiste (comme tout le monde !)… qui évite (souvent) le pathos (comme très peu !)
L’exposition de Barthélémy Toguo s’ouvre sur une étrange pièce. Il s’agit d’une table basse très colorée en céramique rappelant à la fois une maquette d’architecture et le jeu des «Petits Chevaux» de notre enfance. Son titre, Baby Bomb (2005), nous met la puce à l’oreille. En s’approchant de l’œuvre, on découvre des visages de nourrissons parsemés de végétaux formellement proches des sculptures des bâtiments d’Antonio Gaudi. On apprend que Baby Bomb est un mémorial dédié aux enfants irakiens morts durant l’assaut américain à Fallouja. Le ludique s’efface alors devant la cruauté ambiguë qui se dégage de cette pièce : les visages deviennent des «emmurés» et les jolis végétaux font figure de couronnes funèbres… Le ton de l’exposition est donné.
Mais on continue à jouer, du moins pour sauver les apparences. Quatre œuvres nous y invitent. Keep Your Shape (2005), I’m Fed Up With the Little Woman Role (2005), Harvest (2005) et Loneliness (2005) sont chacune constituées d’une image banale que Toguo transforme en figures de jeux de cartes. Dans l’ambiance de cette exposition, on ne peut que penser aux jeux de cartes distribués aux GIs durant la dernière guerre d’Irak. Ces cartes avaient pour but de familiariser les soldats avec les visages des dignitaires du régime de Sadam Hussein alors en fuite. Avec Toguo, ces portraits des dignitaires sont remplacés par des images du quotidien : un baiser, un homme sur une chaise, une famille qui visite un zoo, un étalage de chaussures… Doit-on alors chasser le banal? Si on s’attache à la «couleur» du jeu de carte, notre vision est totalement différente.
Ces cartes sont toutes des as de trèfle, trèfle symbole de chance à moins qu’il ne s’agisse d’espoir…
Comme toujours avec le jeu d’échecs, l’affaire se complique. Si Marcel Duchamp avait pour un temps abandonné l’art pour les échecs, Toguo abandonne les échecs à l’art. La série «Life is a Chessboard» (2005) présente quatre dispositifs identiques constitués d’un échiquier accroché au mur tel un tableau, en dessous duquel est décliné une mosaïque de visages. Davantage tourné vers un regard intérieur que vers l’exploration de l’actualité mondiale la plus sordide, Toguo offre avec cette pièce une pause méditative et introspective.
Mais la politique n’est jamais très loin… Les pièces du jeu d’échec représentent des groupes dont l’activité belliqueuse a ponctué l’histoire occidentale : les guerres coloniales, les nordistes et les sudistes, les royaumes européens, etc. Comme pour nous rappeler que ce jeu — apparemment inoffensif — est une abstraction des pratiques guerrières ; jeu qui a par ailleurs été — depuis sa création — unanimement apprécié des différents chefs de guerre.
Mis en regard de certaines pièces très fortes présentées pour «Slow Destruction», la plupart des œuvres sur papier ont du mal à trouver leur place dans cette exposition. Avec ses aquarelles monochrome (rouge), Toguo semble répéter ses propos antérieurs tout en adoptant un style proche d’œuvres du début des années 1990 de Marlène Dumas. Ce genre de pièces trouve cependant un sursaut salvateur avec Head Above Water 2, Nigeria (2005), œuvre finalement assez complexe composée de 96 cartes postales mêlant texte et aquarelle.
Est-il alors possible de résumer l’œuvre de Toguo ? Au fond, oui : Barthélémy Toguo n’aime pas les injustices (comme tout le monde !) ; Barthélémy Toguo n’aime pas la guerre (comme tout le monde !), Barthélémy Toguo n’aime pas les croisades bushistes (comme tout le monde !) ; Barthélémy Toguo est un artiste (comme tout le monde !)… qui évite (souvent) le pathos (comme très peu !).
Parisart.com
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